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Vingt ans après « Juppé forcément »… Hollande évidemment !

Reprise des hostilités

Par Olivier Cyran

C’est toujours la même histoire, toujours le même acharnement à faire avaler aux électeurs les fromages de têtes sélectionnés par les médias. En 1995, Alain Juppé convoitait la mairie de Bordeaux, moyennant quoi les chefferies locales, Sud Ouest et France 3 en tête, émerveillées qu’un si illustre personnage ait jeté son dévolu sur leur ville, ovationnèrent sa candidature avant même qu’il la déclare. Le tapis rouge déroulé sous les pieds du prince fit l’objet d’un film de Pierre Carles, Juppé forcément, qui continue de faire les délices des internautes.


Dix-huit ans plus tard, on prend les mêmes et on recommence. Les mêmes, c’est-à-dire leurs décalques du moment : Strauss-Kahn d’abord et Hollande ensuite dans le rôle de Juppé, les éditorialistes parisiens à la place des bobardiers bordelais. Les mêmes vapeurs d’encens fournies en expertise, la même bouffonnerie courtisane grimée en compétence journalistique. Et toujours Pierre Carles, flanqué cette fois de Julien Brygo et d’Aurore Van Opstal, pour leur mettre le nez dedans. Souvenez-vous, c’était hier, la France découvrait avec stupéfaction que le patron du FMI était son socialiste préféré. « Sauveur de l’économie mondiale » selon Libération, et donc sauveur de la gauche hexagonale. Pas encore postulant à l’Elysée, mais déjà attendu comme le messie.

Un candidat nommé désir

Les permanents des plateaux télévisés dissertaient sur « DSK, un candidat nommé désir ». « Ce n’est pas un sondage, c’est un plébiscite », frissonnait le « Grand journal » de Canal +, en référence à une étude d’opinion qui promettait au chef banquier un score de président nord-coréen. La messe était dite, célébrée par la journaille sur la foi de sondages mesurant les effets de son matraquage. Et ce n’est pas Maurice Szafran, le directeur de Marianne, qui dira le contraire devant la caméra apparemment éteinte – mais toujours bien allumée – de nos trois enquêteurs : « Les éditorialistes sont plutôt de droite, et ils ont estimé que Strauss-Kahn, c’était une gauche qui leur convenait. »

Mais voilà que, patatras ! éclate l’affaire du Sofitel. La candidature rêvée de DSK se ramasse dans les poils de moquette de sa chambre d’hôtel. Il faut d’urgence refaire le casting, donner un nouveau visage à la gauche convenable. Tiens, Hollande. Pourquoi pas lui ? Il croupit à 5% dans les sondages, mais c’est un type que les éditorialistes « connaissent bien », dira Szafran, et dont ils apprécient les blagues de fin de dîner.

Comme Sarkozy, Hollande a soutenu les traités européens de Maastricht et de Lisbonne, approuvé les privatisations, validé la réduction draconienne des déficits publics, récusé le protectionnisme, sanctifié la croissance, applaudi la réintégration par la France du commandement intégré de l’OTAN. C’est donc l’adversaire parfait de Sarkozy. Libération, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Marianne, Canal +… Le Parti de la presse et de l’argent (PPA) se met en ordre de bataille, à coups de « unes » promotionnelles et d’éditoriaux de patronage. À l’instar des petits dramaturges de Sud Ouest, qui avaient érigé un énarque déplumé en star du rock’n’roll, les directeurs de l’information nationale vont bombarder un autre énarque déplumé – mais « de gauche » celui-là, c’est Libération qui le certifie à la « une » – en favori indiscutable du barnum présidentiel.

Mordre et fuir

C’est sur ces entrefaites que débarque la joyeuse équipe de Hollande, DSK, etc. Grillé comme intervieweur, Carles a laissé à Brygo et Van Opstal le soin d’entreprendre les têtes de gondole du PPA. C’est l’occasion de passer le relais à une nouvelle génération de flibustiers, pour qu’ils se rodent à mordre et fuir. Bonne nouvelle, la relève est là. Elle n’est pas de trop pour monter à l’abordage des montgolfières Laurent Joffrin, Jean-Michel Aphatie ou Nicolas Demorand. Séquence déjà culte, celle où le directeur joufflu et tête à claques de Libération, ulcéré par le toupet de Brygo avouant ne pas être un lecteur fidèle de son journal, braille en boucle, comme un âne devenu chèvre : « Lisez Libé, lisez Libé, lisez Libé !… »

Mais le pire affront que l’on puisse faire à un homme de médias, c’est de l’identifier au système médiatique. Le trucage du jeu électoral, c’est pas moi, c’est les autres : cette constante ligne de défense, burlesque de la part des grands chefs de l’information – « Voyez TF1 ! », brame Demorand –, prend un tour plus poignant chez leurs petits soldats. David Revault d’Allonnes, suiveur du parti socialiste au Monde, admet volontiers que la presse a fait campagne pour Hollande, mais se vexe comme un pou dès qu’on lui rappelle ses propres tendresses passées pour DSK. Matthieu Ecoiffier, journaliste politique à Libération, reconnaît sans problèmes que les médias ont soutenu Strauss-Kahn, mais trouve un peu raide qu’on puisse faire le même procès à Libération. Confronté aux pièces à conviction que son coriace visiteur lui colle dans les mains, le malheureux s’empêtrera dans ses dénégations et finira même par nous arracher quelques larmes. Oui, toujours la même histoire, et le même plaisir à la décortiquer. Dans Juppé forcément, les aînés bordelais d’Ecoiffier secouaient déjà la tête comme des gamins butés en se défaussant sur leurs collègues. « Je considère qu’on en a fait moins sur Juppé que France 3 », expliquait un rédacteur en chef de Sud Ouest. « On l’a couvert comme toute la presse, mais Sud Ouest, beaucoup plus, beaucoup plus ! », assurait un responsable de France 3.

Presque vingt ans ont passé. On ne sait pas encore si Hollande sera président de la République, mais Juppé, lui, est toujours maire de Bordeaux.

Olivier Cyran